Des points sensibles du cahier d’expériences

La main à la pâte préconise une démarche de construction plutôt que de transmission de connaissances. 

Qu’entendez-vous par construction ?

Construire et acquérir des connaissances ?

L’apprentissage n’est pas pensé comme une construction par adjonction de briques sur des bases fiables mais comme une appropriation progressive passant par une familiarisation et une formalisation progressive mais précaire, à consolider au cours du temps certes, mais qui n’empêche pas d’avancer; l’analogie de construction serait plutôt celle d’une araignée tissant sa toile que celle d’un édifice traditionnel.

Quel est pour vous le rôle de l’écrit dans l’apprentissage ?

L’écrit comme trace ?

L’écrit est considéré habituellement comme une « trace » de l’activité manipulatoire (noter les résultats de mesure ou les conditions d’expérience) ou de l’activité intellectuelle (planification de l’expérience, compte rendu des débats, etc.).

Ce qui est valorisé ici, c’est le rôle de l’écriture plutôt que le rôle de l’écrit : c’est la mise en mots et en texte qui est considéré comme efficace pour l’apprentissage plus que le résultat (l’écrit). 

C’est l’écriture dans le cahier qui est considérée comme un outil pour progresser. Le rôle de trace, de mémoire de ce qui a été fait et que l’on pourrait revisiter, largement valorisé par ailleurs, est ici mis au second plan.

C’est dans cette perspective que sont évoqués les feuilles volantes ou les classeurs, des élagages ultérieurs, des remplacements d’une version d’écriture par une autre, des repérages du validé et du non validé a posteriori par des gommettes ou autre système d’étiquetage, plutôt que a priori par des feuilles de couleurs différentes.

Que vaut l’analogie entre le cahier d’expériences de l’élève et le cahier de labo du chercheur ?

Cahier de chercheur ?

En ce sens le cahier d’expériences des élèves et le cahier du chercheur ne sont pas très éloignés : dans les deux cas, la formulation, la mise en forme, sont des outils pour avancer, mettre les idées au clair. 

Par contre pour l’élève le processus d’apprentissage des sciences et le processus d’apprentissage des outils langagiers ou formels sont concomitants alors que le chercheur est censé maîtriser ces outils.

Pour l’élève l’apprentissage porte aussi sur les éléments de démarche ; le chercheur dispose déjà d’une palette assez large même si sa recherche en cours l’amène à progresser sur certaines techniques ou modes de pensée.

Le cahier d’expériences est pour l’élève un objet d’entraînement, un outil pour découvrir, identifier, repérer, s’approprier ce qu’est un travail scientifique ; pour le chercheur c’est un outil professionnel.

Quelles sont les ambitions raisonnables en ce qui concerne le lien entre maîtrise du langage et démarche d’investigation ?

Les sciences et / ou la langue?

La difficulté de cette « écriture » dans le cahier d’expériences n’est pas ici sous-estimée. La fidélité aux termes du débat nécessite une compréhension de différences parfois subtiles, une empathie pour comprendre le point de vue d’une autre personne, qui voit différemment, pense différemment ou qui exprime différemment les mêmes idées. Cette tâche est parfois dévolue à un scribe qui doit s’assurer de l’accord du groupe sur sa formalisation. 

La mémorisation de ces divergences perçues au cours du travail ou d’un débat, pour en rendre compte en différé, est une compétence élaborée qu’il y a lieu de prendre au sérieux, avec des exigences adaptées ; apprendre à distinguer observation et interprétation, divergences d’observation ou divergence d’interprétation, c’est un projet de longue durée ; maîtriser la langue pour rendre compte des subtilités de pensée aussi. 

Il y a des limites réalistes aux ambitions: prendre des notes à la volée n’est pas une compétence exigible en fin de primaire.

L’absence de contraintes orthographiques dans le cahier d’expériences a occasionné de nombreux débats, quelle est votre position sur ce point ?

Les sciences et/ou l’orthographe?

Si l’orthographe du chercheur dans son cahier n’est pas un débat très intéressant, celle de l’élève dans son cahier d’expériences a fait couler beaucoup d’encre et suscité des prises de position assez contrastées. C’est peut-être ce paradoxe qui est le plus sensible : apprendre à écrire en faisant des sciences mais ne pas corriger l’orthographe apparaissent incompatibles si on n’introduit pas un peu de souplesse en jouant sur les temporalités et sur le rapport à la règle orthographique. 

Il y a sans doute des moments où l’intérêt est plus sur les sciences que sur le langage; ce qui ne veut pas dire qu’on laissera cette première version d’écriture comme pérenne en l’état. Par ailleurs les mots spécifiques de la séance peuvent être considérés comme exigibles même dans l’urgence de l’écriture si on veut ne pas perdre de vue le caractère « automatique » de l’orthographe. 

Voilà deux garde-fous, un en aval, un en amont. L’entreprise de maîtrise de la langue est à prendre sur la durée, et les élèves de l’école élémentaire n’en sont qu’au tout début. Favorisons leur attention à ce sujet sans les en dégoûter ; créons un rapport positif à ce travail sur la langue. Si le maître s’efforce de gommer les difficultés, il ne fait que les repousser. 

Le temps de manipulation et le temps d’apprentissage de la langue n’ont pas la même temporalité. La manipulation du matériel, l’expérimentation, la « sortie », la visite, sont des moments forts, qui ne peuvent pas être «  loupés » sans conséquence importante sur le calendrier ou l’organisation des activités. Leurs enjeux immédiats sont donc prioritaires. 

Le travail sur la langue peut être différé sans problème; apprendre l’orthographe de « hypothèse » ou de « ébullition » peut attendre quelques jours voire quelques semaines sans préjudice – sauf si cet apprentissage est différé sine diae

Reste qu’il faut mémoriser ce qui a été fait, dit, pensé… pour pouvoir travailler à partir de ces séances. Il vaut mieux donc avoir anticipé en partie ce qu’il y aura à noter pour une exploitation ultérieure, rapprochée dans le temps, et avoir prévu des outils pour ce faire. Il ne s’agit pas pour autant de déflorer les découvertes des élèves en leur indiquant à l’avance ce qui va se passer!

Ce cahier peut-il jouer le rôle à la fois de cahier d’essai et de cahier de cours ?

Cahier d’expériences et / ou cahier de sciences?

L’information contextuelle à la séquence vécue dans la classe (Qu’est ce qui a été fait? Quelles étaient nos questions? Où en est-on?)est par contre extrêmement importante. C’est le fil directeur de la séance, ce qui lui donne un sens. Ce qui permet de comprendre pourquoi on a fait et pas seulement ce que l’on a fait. C’est une fonction essentielle à assurer par le cahier. 

Le cahier n’est pas un manuel ; il est plus difficile d’y chercher de l’information valide. Faut-il lui faire assurer une fonction de « mémoire morte » ?

Si oui quels moyens mettre en œuvre pour que cette fonction soit assurée au mieux ?

Se pose le problème de codage des statuts des différents éléments contenus dans le cahier, et le problème de l’élagage saisonnier…

Dans les publications de suggestions d’activités pour la classe, il est parfois difficile de savoir qui fait quoi. Quelle est la part d’initiative des élèves et quel est le rôle du maître tout au long de la séquence.

Aplanir ou affronter les difficultés ?

Le rôle du maître dans les phases de structuration est très important, et est un peu différent selon les cycles, témoignant déjà de quelques progrès sur cette période pourtant brève. 

Au cycle des apprentissages fondamentaux, c’est sans doute le maître qui choisit – en les négociant avec les élèves – les formulations définitives, voire propose les formulations.

Dans toutes les classes, c’est le maître qui va intervenir quand « le ton monte » dans un groupe où des désaccords pas très analysés surviennent. Prendre le temps de dédramatiser les désaccords ! Ne pas être d’accord ce n’est pas en soi un problème, c’est même plutôt sain et c’est comme cela que chacun progresse, s’il dépasse la seule émotion pour passer à la distanciation et à l’analyse. 

A partir du CE2, le travail sera de faire percevoir des différences, de les faire exprimer sans distorsion, la remise en cause pour validation étant une étape distincte.

Les classes dialoguées où les propos valides semblent couler de source sous la baguette magique d’un enseignant sont peu efficaces : les difficultés sont occultées mais pas traitées, encore moins dépassées puisqu’elles n’ont pas pu être identifiées. 

Ce travail de l’enseignant dans sa classe n’apparaît pas dans les cahiers d’expérience. C’est pourtant ce travail qui fait toute la différence.

Claudine Larcher, Renée Louis, François Vergne, in Réflexions sur l’usage du cahier d’expérience. INRP, CELDA.

Publié par Renée

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